Programme ou stratégie?
Plutôt qu’un planning ou programme rigide souvent inefficace face aux imprévus, je propose de privilégier une stratégie web flexible et contextuelle, capable d’évoluer avec les réalités du moment et les attentes des utilisateurs. Elle est plus difficile à expliquer et à faire accepter, mais elle fait ses preuves dans la durée.
Il y a presque 10 ans, j’ai publié un premier billet général sur la stratégie web. Je l’avais complété par un second, plus concret. Les deux, à peine actualisés, sont réunis sur cette page.
Survivre en entreprise ou en institution
Il faut un planning! Un programme de publication qui permet de prévoir tout ce qui va se passer sur votre site et vos réseaux sociaux durant la prochaine année. Grâce à lui, vous ne serez plus jamais en retard dans la rédaction de vos contenus, vous ne serez plus inquiet ce qui arrivera la semaine prochaine, votre supérieur saura exactement où vous allez et vos ventes vont augmenter.
Franchement, vous y croyez une seule seconde? Vous savez très bien que vous serez à la bourre pour rédiger vos contenus. Vous savez que vous découvrirez les échéances de la semaine le lundi matin. Vous savez que votre supérieur vous placera dans des situations de double contrainte. Quant à vos ventes, qui sait?
Et surtout, nous savons tous que ces fameux plannings ne servent qu’à rassurer un supérieur, un comité directeur, un conseil ou une assemblée. Même si le programme n’a pas été lu, la simple vue d’une grille et de quelques schémas produit son effet rassérénant et apaise les tensions. Mais tout cela ne sert à rien pour votre travail au quotidien.
Il vaut mieux penser stratégie, avec les mots d’Edgar Morin, dans Introduction à la pensée complexe:
La notion de stratégie s’oppose à celle de programme.
Un programme, c’est une séquence d’actions prédéterminées qui doit fonctionner dans des circonstances qui en permettent l’accomplissement. Si les circonstances extérieures ne sont pas favorables, le programme s’arrête ou échoue. […] la stratégie, elle, élabore un ou plusieurs scénarios. Dès le début, elle se prépare, s’il y a du nouveau et de l’inattendu, à l’intégrer pour modifier ou enrichir son action.
Des circonstances extérieures, il y en a toujours et partout. En voici quelques exemples:
- si vous êtes libraire: la qualité de la rentrée littéraire de l’année, l’implantation ou la faillite d’un concurrent, la politique de prix ou de renvois d’Amazon
- si vous êtes garagiste: les nouveaux modèles de la marque que vous représentez, ceux des marques concurrentes, le prix de l’essence et les scandales façon Volkswagen
- si vous gérez une piscine: la météo
- si vous êtes webmaster, quel que soit votre domaine professionnel: l’arrivée de nouvelles technologies (p.ex. les smartphones), de nouvelles plateformes (p.ex. les réseaux sociaux), de nouveaux outils (p.ex. les applications)
Vous pouvez continuer à planifier pour faire plaisir à votre supérieur et gagner quelques jours de calme. Ou élaborer une véritable stratégie. La première étape pour passer au niveau stratégique, c’est de comprendre (et de faire comprendre) que, sur le web, la nouveauté et l’inattendu, c’est tous les jours.
Il faut prendre le temps nécessaire et suffisant pour l’expliquer à ses responsables. S’ils comprennent, vous n’aurez plus jamais à proposer de planning. Et s’ils ne comprennent pas, cherchez du travail ailleurs.
Esquisses de stratégie web
Après la publication de la première partie, j’avais reçu un message. Le contenu en résumé:
Tu as raison de dire que les programmes ne marchent pas (ou pour une durée limitée seulement). Ils servent surtout à faire plaisir à un supérieur plutôt qu’à améliorer les résultats du travail. Mais tu ne dis rien sur la stratégie, sinon que plus rien ne peut être programmé.
Vous avez compris le paradoxe de l’histoire: une stratégie universelle et figée serait en quelque sorte un programme. La stratégie est donc toujours contextuelle: votre entreprise (ses moyens humains, techniques et financiers; ses objectifs), vous (vos compétences, votre cahier des charges) et l’extérieur (les concurrents, l’actualité).
Ce serait un peu simple de s’en tirer ainsi. Voici donc quelques éléments concrets de stratégie web.
Externaliser ou internaliser?
Avez-vous déjà remarqué que la très grande majorité des entreprises, même les plus petites, se chargent de leur comptabilité en interne. Alors que beaucoup d’entreprises, pas forcément petites, font appel à des agences de communication externes pour la réalisation de leur site web, de leurs éléments graphiques, voire pour la rédaction de leurs contenus.
C’est facilement explicable. Depuis toujours, on tient ses comptes. La communication, au sens large du terme, est une histoire bien plus récente.
Mais est-ce une bonne idée? Au fond, la capacité de faire évoluer son site web, de produire ses documents et de rédiger ses textes en interne n’est-elle pas plus stratégique que des additions?
Internaliser de telles compétences est un choix stratégique, bien plus ambitieux que de programmer un budget de communication.
Ou alors, externaliser de telles compétences est un choix stratégique, à condition de ne pas agir simplement au cas par cas, mais dans une logique construite et continue.
Planification financière
Avez-vous déjà remarqué que, bien souvent, les dépenses dans le domaine du web sont prévues de la même manière que l’on envisage l’industrie lourde ou l’immobilier? La première année, on investit 50000. Puis on prévoit 5000 pour les années suivantes. Soit 70000 sur 5 ans.
Nombreux sont celles et ceux qui n’ont pas vu venir le responsive design, les réseaux sociaux, les intelligences artificielles, etc. Et qui traînent durant des années des sites complètement dépassés. Ce n’est pas un jugement, juste une observation. Le plan a échoué rapidement, mais il n’y avait plus d’argent au programme pour des évolutions nécessaires.
Un choix stratégique, c’est d’être beaucoup plus évolutif dans la durée. On pourrait imaginer 20000 la 1re année, puis 5000 la 2e année, puis 15000 les années suivantes. Ainsi, on a un site raisonnablement à jour durant 5 ans, pour la même somme globale de 70000.
On peut parfaitement maintenir un site longtemps, comme l’expliquent très bien les Yellow Dolphins: Garanti 10 ans! Comment un site web résiste au temps?
Évolutions d’un projet
En analogie avec ce qui dit d’un point de vue financier ci-dessus, avez-vous déjà remarqué que bien des sites vous impressionnent beaucoup à leur sortie, mais semblent insuffisants quelques mois plus tard? C’est, hélas, logique. Peut-on vraiment imaginer que tout était correct dès la rédaction d’un cahier des charges? Que l’on avait pensé à tout?
Un choix plus stratégique consiste à travailler en différentes étapes, avec une contrainte forte. À la fin de chacune des étapes, le projet doit pouvoir être déployé en production, être parfaitement fonctionnel (quelque chose comme Scrum par exemple).
Au début, le projet sera moins impressionnant. Dans la durée, il répondra vraiment à la réalité du moment et aux attentes des utilisateurs.
Considérations techniques
Avez-vous déjà remarqué que des nouveautés sortent presque tous les jours sur le web? Certaines semblent inévitables, d’autres plus futiles. Il y a quelques années, il fallait absolument son application. On constate aujourd’hui qu’il y a bien peu de raisons d’en développer une.
Aujourd’hui, nous sommes en plein dans les questions d’intelligence artificielle. Qui l’aurait imaginé il y a quelques années? Une vision stratégique consiste à se fixer de grandes lignes: nous acceptons d’utiliser des technologies tierces si elles apportent un plus fort taux de lecture et nous gardons un site web comme base arrière solide et pérenne. Une vision programmatique demanderait plutôt la mise à jour de l’application qui avait coûté si cher et que l’on ne peut pas abandonner (mais que personne n’installe).
Nous avons enterré tant de choses. Le cimetière du web est saturé de «nouveautés nécessaires pour lesquelles il fallait investir». Une visite entre les tombes de Killed by Google est édifiante.
Dépendance et indépendance
Vos publications ont un certain succès, mais reposent entièrement sur un réseau social ou un média que vous ne contrôlez pas.
Vous acceptez de dépendre à 100% de ces plateformes.
Mais vous ne vous rendez plus compte que tout peut tomber d’un jour à l’autre.
Ou que des services comme Twitter X ou Facebook peuvent partir complètement en vrille.
Une vision stratégique demande de bien choisir un CMS ou un framework, de ne pas faire dépendre des fonctionnalités essentielles sur des outils non essentiels (le CRM qui repose sur le CMS…). Quand on voit l’actualité dramatique de WordPress, on se dit que le pire est toujours possible. Et de choisir des technologies ouvertes et pérennes. Dans votre programme, vous aviez prévu une application complexe, sans vous rendre compte que beaucoup de choses passent aujourd’hui par JSON et, pourquoi pas, des flux RSS.
Je n’ai pas de programme, mais je suis toujours là. Peut-être que ma stratégie est bonne…